La SECCA
Aujourd’hui, un post technique sur les analyses fonctionnelles. Il sera en deux temps : un avant-propos pour ceux qui connaissent peu ou pas (pour pouvoir suivre) ; une partie technique et épistémologique qui revient sur le modèle initial de la SECCA de 1985 et les différences avec celui proposé en 2020.
Avant-propos
Pour ceux qui ne connaissent pas
L’analyse fonctionnelle (AF pour les intimes) est une méthode d’exploration et de compréhension du fonctionnement et du maintien des problèmes rencontrés par la personne. Conceptualisée par les TCC, elle complète voire remplace l’approche catégorielle. C’est de la clinique pure : ne pas chercher à enfermer quelqu’un dans son diagnostic et essayer d’expliquer son fonctionnement par ladite étiquette, mais produire une théorie unique et singulière de la personne et de ses difficultés.
D’ailleurs, il est recommandé dans les “bonnes pratiques” que le plan thérapeutique découle des AF et non du diagnostic.
Il y a plusieurs façons de faire des AF. Plein de façons même. Mais souvent on fait une SECCA.
Pourquoi ce focus sur l’AF ?
Puisque les AF sont au cœur des TCC, il en découle une exigence pragmatique : c’est important de “bien” les faire.
Et en même temps, il y a parfois un risque de dogmatisme en s’enfermant dans la “bonne” façon de faire. D’autant que les critères de choix de ce qui constitue la bonne méthode restent à discuter - et c’est là que je veux en venir.
J’ai pu me convaincre en lisant et en discutant avec des collègues que c’était tout de même un problème substantiel : il y a une grande hétérogénéité des acceptions, et même des contresens (bah oui, pas de bol). Ce qui menait à de grands débats pour savoir qui a raison et détient la bonne conception de ce qu’est l’AF. C’était même devenu un running gag pendant mes années de formation aux TCC. En a découlé une private joke très private joke : “présente au formateur ce qu’on a compris des AF : il va te détromper.”
Étant obsessionnel sur les bords, et ayant encore des réflexes de thésard, j’ai voulu aller consulter les textes princeps pour lever le doute : l’auteur à l’origine du modèle, il en dit quoi lui ? Qui a raison ?
J’ai commencé par un modèle courant, la SECCA (situation/émotion/cognition/comportement/anticipation), qu’on doit à Jean Cottraux.
J’ai trouvé des choses intéressantes. Je partage. Pas pour dégager la bonne façon de faire, mais au contraire inviter à plus de souplesse dans son utilisation.
La SECCA
La SECCA comporte une partie synchronique et une diachronique. La synchronique explore les manifestations actuelles. La diachronique s’intéresse aux “facteurs historiques de maintien, et de déclenchement, aux aspects familiaux, développementaux et structuraux qui peuvent être mis en évidence ainsi qu’aux traitements antérieurs”. (Cottraux, Bouvard & Légeron, 1985).
La représentation de la synchronie que je croise la plus est la suivante :
Sauf qu’il existe un modèle plus récent (a priori 2020 ?). Et que le modèle de 1985 ne dit pas tout à fait ça.
Le modèle de 1985
Dans la conception initiale (1985), Cottraux propose une modélisation un peu différente de la synchronie :
Pour les connaisseurs, remarquez qu’il y a des petites cases à côté d’émotion, cognition et comportement. Il encourage à la souplesse sur l’ordre de ces items : dans l’entretien ce n’est pas forcément l’ordre du schéma qui sera employé par le patient. Il recommande de faire usage de cases à côté des éléments pour rapporter l’ordre proposé par le patient.
“La grille est fondée sur la notion d’interaction entre les différentes variables. Émotion, cognition et comportement peuvent apparaître dans un ordre différent de celui qui est donné sur le schéma ; il faut donc leur attribuer un numéro d’ordre dans la case en regard” (p. 71)
Déjà, ça, c’est intéressant je trouve. Il ne faut pas être rigide. Si le patient ne commence pas par le haut du schéma (l’émotion), ce n’est pas grave. Peut-être par exemple que lui décrira d’abord comment il a réagit, et seulement ensuite ce qu’il a ressenti, et enfin ce qu’il a pensé. C’est source de sens et de renseignements sur la personne : quelle entrée privilégie-t-il spontanément ?
On retrouve déjà la triade signification personnelle / cognitions (désignées comme le “monologue intérieur”) / imagerie.
Autre différence avec le discours actuel : dans une autre publication à peu près à la même époque (1986), il rapporte un exemple de SECCA utilisée dans une approche nomothétique :
Ca veut dire quoi ? Qu’on peut faire une AF pour analyser une réaction dans une situation bien délimitée, ou faire une AF générale qui synthétise plusieurs AF et qui ambitionne de modéliser le fonctionnement général du problème de la personne.
"[...] l'analyse fonctionnelle ainsi présentée est une forme idiographique, descriptive et individuelle d'approche, mais elle peut aussi être nomothétique en ce sens qu'elle permet de mettre en évidence des lois de fonctionnement où isoler des types de fonctionnement". (Cottraux, 1985, p. 60)
Le modèle de 2020
Du coup c’est que ça qui change ? Non, pas forcément. Car Cottraux propose une “grille dans sa nouvelle version” (2020, p. 105).
On note une évolution : on sort de signification personnelle / cognition / imagerie pour aller vers un modèle qui intègre les schémas cognitifs au sens de Beck et Young.
Concrètement, l’item cognitions / monologue intérieur devient pensées automatiques, et fusionne avec imagerie (qui devient images mentales). On explore ce qui traverse la tête à ce moment-là en termes de mots et d’images.
La signification personnelle disparaît (ce qui n’est pas anecdotique je trouve au niveau épistémo mais il faudrait faire un autre post), et les schémas cognitifs apparaissent (pour laisser de la place à l’exploration de la personnalité et des croyances centrales). Dans les grandes lignes, on garde une place pour le sens plus profond que la situation a pour la personne, mais en invoquant les schémas on se rattache plus au concept de personnalité.
On voit aussi que la proposition de noter l’ordre d’apparition des cases disparaît.
Je sais pas vous, mais moi j’aime bien cette version.
Qu’en retenir ?
Qu’il faut se détendre avec l’AF ?
Ma conclusion après avoir lu tout ça est que réussir une AF ne passe pas par le respect scrupuleux d’une méthodologie, mais la capacité à garder en tête les objectifs de l’analyse : qu’elle permette de comprendre ce qui se passe pour la personne, et la façon dont le problème fonctionne et se maintient. Qu’il ne faut pas être dogmatique : si on veut faire une forme idiographique, c’est ok. Si on veut faire une forme générale, c’est ok aussi. Si on veut remplir dans un ordre différent, pourquoi pas. Si on veut rajouter une case, c’est pas forcément idiot. Du moment que ça aide à comprendre collaborativement.
Sources
Cottraux, J., Bouvard, M. & Légeron, P. (1985). Méthodes et échelles d’évaluation des comportements. EAP.
Cottraux, J. & Mollard, E. (1986). Les phobies. Perspectives nouvelles. PUF.
Cottraux, J. (2020). Les psychothérapies cognitives et comportementales (7e édition). Elsevier Masson.