Savoir ce qu'est la maladie, ou savoir ce que c'est que de l'avoir ?
La théorie des cuillères
Par curiosité, j’ai lu le court essai de Christine Miserandino (2003), à qui on doit la théorie des cuillères (spoon theory).
Je croise principalement cette métaphore dans les supports de vulgarisation pour les troubles du spectre autistique. J’en ai une compréhension un peu naïve : je sais qu’on utilise cette métaphore pour dire que la personne a un nombre limité de cuillères, que chaque action lui coûte des cuillères, et que ça oblige à faire des choix au quotidien. Mais bon, présenté comme ça, c’est pas très puissant.
J’ai voulu faire mieux. Surtout, je suis très terre-à-terre et premier degré, et ça fait un moment que je me demandais : mais pourquoi des cuillères ? On ne dépense pas des cuillères. Pour une métaphore sur la gestion de son budget énergie, on aurait pu prendre l’exemple d’une monnaie, ou d’un carburant, ou… Bref. Je suis allé lire.
J’ai appris des choses intéressantes. Typiquement le format bit de psychologie. Je partage, ça gagne à être connu.
1- D’abord, je découvre que la métaphore était initialement dédiée à l’explication de ce que c’est que de vivre avec un lupus. Et que la différence entre être malade (being sick) ou en bonne santé (being healthy) tenait à ce nombre de cuillères disponibles.
2 - C’est dans cette obligation nouvelle, contrainte, constante et crispée de faire des choix que l’autrice situe l’expérience de la maladie. Le passage d’un état d’esprit insouciant, qui postule une quantité d’énergie sans-limites (a never-ending supply of spoons) et qui a le luxe du non-choix ; à un état d’esprit économique, centré sur ce qu’il sera possible ou non de s’offrir avec ses cuillères.
Concrètement, cette préoccupation se traduit par :
Un besoin de toujours savoir combien de cuillères sont disponibles ;
L’impossibilité de les lâcher (parce qu’on n’oublie jamais la maladie) ;
La nécessité d’accepter qu’il y aura désormais peu de cuillères et pour toujours.
3 - Surtout, je me rends compte que son propos était surtout d’aider des personnes non-concernées par la maladie à mieux imaginer et comprendre son vécu quotidien. Elle l’a inventée en réponse aux questions d’une amie qui lui demandait d’essayer de lui expliquer non pas ce qu’est la maladie ou ses symptômes, mais ce que c’est que d’être malade.
4 - Et… je sais pourquoi c’est des cuillères. C’est parce qu’elle a inventé cette métaphore au restaurant. Il y avait des cuillères sur les tables, ça l’a inspirée. Elle en a ramassé sur plusieurs tables, les a fourré dans la main de son amie et lui a dit “tiens, c’est ça d’avoir un lupus !”.
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Je joins le fichier pour les curieux. Des traductions sont également disponibles sur internet, mais je ne suis pas sûr de leur qualité je vous laisse explorer par vous-même.
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